Deux évènements, sans lien, mais concomitants, dévoilent un changement d’équilibre au sein de ce qui reste de la droite dite « Républicaine ». Les sénateurs ont clairement accéléré et prennent le leadership sur la droite française. Cela ouvre des perspectives politiques de fond, qui pourraient apporter de l’oxygène à Emmanuel Macron.
Premier évènement, le projet de loi Immigration. Même si le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, a du manger une partie de son chapeau face aux centristes, un compromis a été trouvé, où le texte du gouvernement a été durci. Déjà bien de droite, le texte est maintenant complètement à droite, donc idéologiquement, LR a de quoi être satisfait. Ils n’auraient pas fait mieux s’ils avaient été au gouvernement. Il ne reste donc plus grand chose à faire pour les députés LR, à part soutenir ce qu’on fait leurs collègues sénateurs. Laurent Wauquiez, parrain lointain de cette droite LR s’est d’ailleurs déplacé à l’Assemblée, pour l’expliquer aux députés. Tant pis pour leurs velléités d’opposition face au gouvernement, la priorité, de sauver le contenu du compromis sénatorial, et donc le deal avec la majorité.
Le deuxième évènement est le refus d’Eric Ciotti d’aller à la deuxième édition du nouveau lieu de concertation macronien, les « rencontres de Saint-Denis ». La raison de cette absence est une peu confuse, et les observateurs semblent deviner que c’est pour éviter de devoir toper avec Macron sur la proposition d’étendre le champ du référendum à l’immigration et aux sujets de société. Ce faisant, il ouvre un boulevard à Jordan Bardella, qui sera là, et n’aura aucun scrupule à toper, mais surtout, à Gérard Larcher, qui est présent au titre de ses fonctions de président du Sénat. En politique, il y a une règle assez cruelle, et souvent vérifiée, qui dit que « si vous n’êtes pas à la table, c’est que vous êtes au menu ». Boycotter ces réunions au sommet, c’est prendre le risque que les décisions se prennent sans vous, et sur votre dos. Exactement ce qui risque d’arriver à Eric Ciotti, et donc par ricochet, au parti LR.
Mine de rien, ce glissement est important pour la politique de fond. Si le leader de la droite républicaine, c’est Gérard Larcher, cela ouvre des perspectives pour Emmanuel Macron. A 74 ans, réélu pour 6 ans au Sénat, et pour 3 ans à la présidence de l’institution, il est en fin de carrière et n’a plus d’ambitions personnelles. En revanche, il est intéressé par le fait de peser sur la ligne politique, sur les textes législatifs. Et pour peser, il faut dealer, et être en capacité de faire respecter le deal par ses troupes. Ce qui se passe sur le projet de loi Immigration est un test décisif. Si les députés LR se couchent (ce qui est probable) cela ouvre la voie à une coalition de fait (pas nécessairement avouée) entre Macron et la droite non RN, qui peut permettre une survie prolongée du gouvernement Borne.
Cette alliance n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour le pays. Comme elle ne sera sans doute pas assumée, elle ne permettra pas une action politique forte. Tout se fera au cas par cas, avec des négociations alambiquées, en coulisses. C’est non seulement chronophage, mais aussi démocratiquement malsain. Tous s’habituent au nouveau contexte, aux petites alliances opportunistes, et face au 49.3, on est passé de la colère médiatisée à la lassitude résignée. Si en plus, une béquille LR arrive aux moments opportuns, Emmanuel Macron devrait pouvoir, tant bien que mal, aller au bout de son mandat.
On va donc continuer à vivre dans une forme de stagnation, avec un gouvernement faible et largement procrastinateur, car politiquement fragile, mais qui a écarté le risque d’être renversé. C’est délétère pour un pays aussi fracturé et économiquement fragile que la France de 2023, où personne n’a confiance dans l’autre, et la peur est le sentiment le mieux partagé. Pour sortir de cette ornière, il faut un leadership politique fort et en capacité d’agir, ce que nous n’aurons pas avant 2027.
9 réponses sur « En route vers une alliance entre Macron et LR »
Ah, ça, le leadership fort en 2027, on va l’avoir.
Et avec un Macron qui a méthodiquement démoli tous les contre-pouvoirs, ça va faire très mal.
Si vous faites allusion au RN, en tant que français et musulman je ne vois aucune différence entre LREM et le RN sur le sujet…
Immigration possible (et encore…) mais pour taper sur l’islam a la moindre occasion c’est bonnet blanc et blanc bonnet !
Loin de moi l’idée de défendre le gouvernement, mais vous sous-estimez gravement RN si vous pensez que ca ne pourrait pas être pire. Avant même la moindre loi, le signal envoyé à la police si un président ou un gouvernement RN est élue sera terrible.
Une partie significatif des policiers n’attend que ca !
Tout ça pour peser sur un demi mandat alors qu’ils auraient pu le faire sur un mandat entier !
La situation en sortir du Sénat est très différente de ce que vous prévoyiez il y a dix jours : « Le passage au Sénat va être surtout l’occasion de mesurer la perte de pouvoir du LR. »
Au delà du risque inhérent à toute prédiction, qu’est-ce qui a basculé selon vous pour ce retournement de situation ?
La prédiction s’est réalisée. Retailleau a mangé son chapeau et a été obligé de se rallier aux positions d’Hervé Marseille, sinon, il était battu et humilié. Le texte a été durci, mais pas autant que l’aurait voulu Retailleau.
Et avec une alliance LREM-LR, c’est une France « en charentaise » pour les années qui viennent, dans laquelle les retraités seront préservés et tous les efforts pèseront encore une fois sur les actifs. Cela aura été la marque du mandat d’E. Macron, finalement.
Les « Gilets jaunes », des braves gens dont le maigre salaire passait dans l’essence pour rejoindre le boulot, la réforme des retraites qui ne touche que les actifs et voit ces derniers s’y opposer de manière unanime, du cadre de La Défense à l’ouvrier de Moselle…
Pas réjouissant.
Leadership fort, ca pour le coup on va voir ce qu’on va voir. Ou non d’ailleurs, si la tendance à ne pas donner une majorité au président se confirme après le brillant coup d’essai de mai-juin 2022.
En 2027, « Leadership fort », peut-être. « en capacité d’agir », j’en doute.
Car je pense que le système institutionnel est devenu durablement dysfonctionnel depuis 2022, pour une raison simple :
On a pris l’habitude d’élire le président sur une promesse d’hégémonie et sur la base d’un coup de poker majoritaire, et cela a fonctionné jusqu’en 2017 ; mais les clivages territoriaux et les polarités politiques sont devenus aujourd’hui trop puissants pour que l’Assemblée produise une coalition majoritaire.
Il y a donc de grandes chances que 2027 reproduise 2022 :
1) un président porté par l’élection reine, accompagné de ses promesses législatives détaillées ;
2) un gouvernement de dévots, préempté dans la foulée ;
3) une mise en minorité frustrante du camp présidentiel aux législatives, avec une Assemblée orpheline et fragmentée, à qui on ne demande même pas de voter la confiance.
4) et donc des passages en force de l’exécutif en usant de l’arsenal constitutionnel (et notamment la menace atomique de la dissolution) pour protéger le gouvernement minoritaire d’éventuelles censures.
On ne peut décemment pas se contenter de ce destin institutionnel bancal, inefficace et autocratisant, et se consoler avec des ersatz de coalitions non-assumées.