L’Ademe, agence publique de la transition écologique, a visiblement touché un nerf, avec sa publicité appelant à consommer moins. Cet appel, pourtant soft, à limiter sa consommation, a suscité une avalanche de commentaires négatifs de la part des secteurs économiques concernés, visiblement catastrophés que cette perspective puisse être officiellement mise sur la table par un organisme public.
Cette petite polémique met en lumière une vérité que beaucoup ne veulent pas voir. Oui, d’une manière ou d’une autre, transition écologique rime avec décroissance. Si on veut « sauver la planète », les petits gestes du quotidien sont largement insuffisants (surtout si après avoir fait son compost à base d’épluchures de légumes bio, on prend l’avion pour un week-end à Prague). L’ampleur de ce qui est demandé relève d’un changement de paradigme, qui passe, à un moment ou à un autre, par la question de la quantité. Le « consommer autrement » ne tiendra pas, il faudra bien en arriver à « consommer moins ».
On va donc heurter de front un système économique construit sur l’obligation d’être perpétuellement en croissance. Cela n’implique pas uniquement d’acheter moins, mais également de reconstruire tout un imaginaire collectif, où la consommation occupe une place symbolique moins importante, loin, très loin de ce qui existe actuellement. Il ne faudra pas compter sur le « système » à commencer par les médias, pour impulser et propager ces nouveaux paradigmes, car ils vivent par (et pour) les mécanismes actuels. Changer les choses revient à scier la branche (économique et symbolique) sur laquelle ils sont assis.
Ces évolutions sont pourtant nécessaires, car nous n’avons finalement le choix qu’entre une décroissance choisie, et une décroissance subie. On aura sans doute les deux, le tout est d’arriver à ce que la retraite face aux effets du changement climatique tienne davantage du repli en bon ordre sur des positions préparées à l’avance, que de la déroute.
L’année 2023 a été une révélation concrète et évidente (pour ceux qui n’en avaient pas encore pris conscience) que la nature est en train de rebattre les cartes de l’habitabilité de la planète, et que nous sommes directement concernés. Il va falloir bouger, et pas seulement sous la forme d’une délocalisation géographique ou de quelques investissements d’infrastructure. Certes, nous avons davantage les moyens que d’autres de nous y adapter économiquement, mais symboliquement et psychologiquement, ça va faire mal, car nous ne sommes pas prêts. Nous ne sommes même pas conscients que c’est aussi notre cadre mental et nos référentiels qui vont être percutés. La hausse des températures, l’augmentation de la force des tempêtes, les sécheresses qui deviennent structurelles, nous obligent à revoir notre rapport à notre environnement immédiat et notre rapport à la nature. La redistribution des cartes et le creusement des écarts entre ceux qui s’en sortent et les autres, pourraient avoir des effets très puissants et potentiellement dévastateurs.
Nous sommes à l’aube d’une forme de révolution complexe, où prenant conscience qu’il n’est plus possible de « continuer comme avant », tout va être remis en question. Le « moment schumpétien » de destruction-création, enclenché par le changement climatique ne fait que commencer, et dans quelques années, on se souviendra peut-être avec attendrissement de cette remise en cause, bien gentillette, de la société de consommation…
13 réponses sur « Very black friday »
Je vous rejoins complètement sauf pour :
Ces évolutions sont pourtant nécessaires, car nous n’avons finalement le choix qu’entre une décroissance choisie, et une décroissance subie.
Un changement de modèle économique, certainement. La croissance comme un moyen et non plus une fin, absolument. Mais, non, la décroissance n’est pas une fatalité – du tout.
Je ne prône pas la décroissance pour la décroissance. Je constate juste que certaines activités/manière de consommer ne seront plus possibles, parfois à court terme, et qu’il va falloir y renoncer, de gré ou de force. Cela sera nécessairement vécu et apprécié, par ceux qui apprécient ces activités, comme une forme de décroissance. Les sports d’hiver (faute de neige) et les voyages court séjour à l’autre bout du monde ou du continent, c’est fini.
Excusez-moi, votre constat est intéressant mais il faut garder raison. Avec +2 et même +3 degrés il restera encore largement de quoi skier l’hiver dans la plupart des stations de moyenne montagne dans 50 ans, juste ce ne sera plus possible en avril voire en mars. Et le massif central passera 1 hiver sur 2 sous la pluie et non sous la neige. Ca questionnera les investissements et les modèles (et les emplois) de tout un écosystème qui y réfléchit déjà. Et tout ceci ne va pas changer demain. La Terre se réchauffe, ça va changer beaucoup de choses et il faut limiter cela au maximum, mais ce n’est pas l’Arizona qui arrive en France tout de même.
Les sports d’hiver, ce n’est pas seulement une question de neige (on peut très bien en mettre de manière artificielle) mais d’image de ce que cela symbolise. On est typiquement dans une activité dont on peut se passer (ça ne fait qu’une soixantaine d’années qu’on le fait), qui nécessite d’urbaniser un espace protégé naturel, avec une période de quelques semaines pendant les vacances scolaires, et où la plupart des habitations restent vides 11 mois sur 12. Sans parler du fait que tout cela est réservé à une élite. On continuera à avoir des stations ouvertes, mais ça sera symboliquement, donc politiquement de plus en plus difficile à soutenir.
Vous semblez avoir une vision assez parisienne des stations. Elles sont remplies pendant plus de 3 mois par an même si le pic est en effet atteint la semaine de la zone C en février, et elles le sont aussi de plus en plus l’été. Elles tournent à plein pour tous les gens qui habitent dans la région. Elles font découvrir la montagne.
Je comprends très bien ce que vous dites et le fond de votre pensée, mais c’est absolument déprimant d’en arriver là, comme s’il fallait soutenir une activité plutôt qu’une autre en fonction de paramètres de soutenabilité environnementale extrêmement difficiles à mesurer objectivement et à comparer (sans même rentrer dans PIB / tourisme / emplois). A ce compte là que fait-on de la fédération française de sport automobile (dans une campagne perdue où j’étais de passage, un rallye auto amateur a bloqué les routes pendant toute une journée pour faire passer des voiture à fond, je ne vous raconte pas le bruit et les vapeurs d’essence, est-ce vraiment nécessaire ?) Ou même le tennis : que de béton et d’espace occupé pour cette activité de riches, avec des terrains inutilisés en moyenne les 3/4 du temps en France ! Et on n’en faisait pas il y a 150 ans !
Décarboner le monde est une nécessité, consommer autrement aussi, et je n’ai pas l’impression que la montagne soit le pire exemple. On inventera sûrement des skis en fibre de quelque chose recyclable, des remontées mécaniques au nucléaire, on doit pouvoir trouver des manières de faire vivre la montagne et pas juste la regarder d’en bas, comme d’autres choses : personne ne voudra de ce monde sinon et donc il n’arrivera pas. Je ne dis pas que vous avez tord, je comprends bien que c’est ainsi que l’on commence à penser y compris politiquement, mais je crois que ce chemin ne nous mènera pas dans une bonne direction que les gens suivront.
Vos exemples sont très pertinents, et nombre d’activités considérées comme non essentielles, car de loisir (sauf pour ceux qui en vivent professionnellement) vont être questionnées. Et potentiellement remises en cause. Je parle des stations de ski, car c’est l’exemple que j’avais à l’esprit, mais le golf, dans les zones passées en mode « sécheresse structurelle » n’en a plus pour longtemps. C’est clair que ça va représenter un recul, pour ceux qui en vivent, ou qui y avaient accès, et ça ne se fera pas dans la paix et la bonne humeur.
> mais ce n’est pas l’Arizona qui arrive en France tout de même.
Heu … bah si. C’est justement tout le problème. Cette année en 2023 (proche de 1°C de réchauffement global) la météo rend insemable les céréales d’automne qui sont la base de notre alimentation. Les rendements espagnols, portugais, et méditerranéens sont effondrés. L’espagne est d’ores et déjà hautement menacé de désertification. À 2°C de réchauffement global, l’ONU (GIEC) parle d’insécurité alimentaire généralisée (et le bassin méditerranéen sera durement touché). Je répète : « insécurité alimentaire généralisée ». Et vous ergotez sur l’exemple des stations de ski ? Excusez-moi, mais il faut garder raison. Actuellement, le monde promet de ne pas dépasser les 2°C, mais en empruntant la voie des 4°, et en maugréant sur le pays ou continent voisin de ne rien faire. Et le résumé des commentaires de cet article en donne un bon échantillon.
@Authueil vous parlez de changement de style de vie (inévitable).
La décroissance, c’est autre chose : c’est une contraction continue de l’économie dans laquelle je ne suis pas sûr qu’on sache faire fonctionner un système social tel que nous le connaissons ou un système financier.
L’enjeu, c’est bien de trouver un équilibre dans lequel la croissance est soutenable environnementalement, économiquement, socialement, financièrement… et que ce régime de croissance ne soit pas une perte de bien être.
Mais, la décroissance n’est probablement pas plus soutenable qu’une croissance débridée recherchée pour elle-même.
Je pense que la ligne « croissance raisonnable et soutenable » n’est plus tenable, et que le choix est entre une décroissance maitrisée, où justement, le système social ne s’effondre pas, et la débâcle. Les problèmes vont arriver de partout, à commencer par l’approvisionnement énergétique et alimentaire, qui peuvent sérieusement perturber les équilibres géopolitiques, donc nos modes de vie.
Ce qui va être violent, c’est pour la classe moyenne.
Côté supérieur, tous ceux qui avaient accès aux voyages avec l’aviation low-cost et qui ne pourront plus.
Côté inférieur, toute une part de la population n’aura plus les moyens d’avoir une voiture individuelle.
Il est tout simplement impossible de remplacer l’intégralité du parc existant, il n’y aura jamais de véhicule électrique low-cost.
Le sentiment de déclassement de ceux qui ne pourront plus partir en week-end à Barcelone, ce n’est pas très grave, mais l’exclusion des moins fortunés du transport individuel, c’est une bombe sociale majeure.
Qu’est ce qu’un véhicule low cost ? La grande majorité des gens n’achètent pas de voiture neuve mais d’occasion. Le temps que le marché de l’occasion ait des véhicules électriques va prendre du temps, les ZFE arrivent bien trop tôt par rapport à la vitesse de renouvellement du parc auto (20 ans). Sinon en neuf vous avez déjà la Dacia Spring, voiture électrique la plus vendue en 2023 : 10 ou 15 000 euros selon le véhicule que vous cassez à la place.
On parle de trajectoires sur 20 ans pour tenir nos engagements neutralité carbone, c’est déjà assez ambitieux, mais en même temps ça laisse du temps, tout ne doit pas être changé en 2027 heureusement !
Le diable se cache dans votre dernière phrase : tenir « nos » engagements carbone.
Ils ne changent rien de significatif ! A ELLE SEULE, la Chine a davantage augmenté l’émission de CO2 que ce que les efforts de l’ensemble de l’Europe ont réduit ! (Source : données du GIEC)
désolé, mais on peut faire ce qu’on veut, la seule action efficace que peut faire l’Europe (et que personne ne mets sur la table) est une barrière à l’accès au marché de consommation européen sous forme de taxe douanière.
Je ne sais pas si c’est réellement possible, mais c’est la SEULE action possiblement efficace sur les émissions de CO2 que peut faire l’Europe
Si je comprends bien ce que vous décrivez, bonne nouvelle c’est possible, ça s’appelle le CBAM (ou MACF en français) et c’est ce que l’UE est en train de mettre en place.