Catégories
Non classé

A l’entrée du tunnel

On est à la veille du premier tour des élections législatives, et je ne suis pas optimiste. Tous les signaux qui arrivent vont dans le même sens : une large victoire du RN, qui aura une majorité absolue à l’Assemblée nationale, et pourra gouverner. Au delà des différences avec la Macronie, qui pourront être spectaculaires, il va y avoir également beaucoup de continuités.

Le RN n’ayant pas les troupes ni la compétence pour exercer le pouvoir, on aura, comme avant, des « amateurs » au Parlement, encore plus incompétents que leurs prédécesseurs, et surtout, sans la personnalité de Macron, qui sauvait (techniquement) le dispositif. Cela s’inscrit dans un mouvement de fond de baisse de la qualité du personnel politique, dont je parle régulièrement, et est structurel. La prise de pouvoir du RN nous fera juste passer à un ou deux paliers en dessous.

Il y aura également beaucoup de continuités dans les politiques suivies, car rapidement, l’administration prendra la main, parfois à son corps défendant, pour occuper le vide laissé par le politique. Il faut bien que les dossiers avancent et que les décisions soient prises. Il n’y a aucune raison que les fonctionnaires se convertissent du jour au lendemain, aux croyances et idées du RN. C’est beaucoup plus le RN qui se ralliera à la doxa administrative. C’est déjà ce qui s’est passé entre 1981 et 1983, avec une gauche arrivée révolutionnaire et repartie quasiment néo-libérale. Cela ira beaucoup plus vite avec le RN en 2024, beaucoup plus « liquide » politiquement et idéologiquement que l’union de la gauche des années 70.

Cette continuité sera d’autant plus forte que la marge de manœuvre des politiques s’est considérablement réduite au fin du temps. Entre les marchés financiers et les contraintes européennes, un pays aussi endetté et dépensier que la France ne peut pas se permettre le moindre écart. Le pouvoir d’achat étant, de loin, la première préoccupation des électeurs RN, le gouvernement qui va arriver ne peut se permettre la moindre sortie de route. Il n’y aura donc pas de grand virage économique, mais plutôt une accentuation de la politique économique menée jusqu’ici.

Même dans les différences, il y aura de la continuité, car les évolutions que l’on peut craindre, sur la stigmatisation (voire pire) des minorités, ne seront juste que l’accentuation de tendances existantes. L’arrivée du RN au pouvoir va désinhiber les paroles et libérer une violence qui est déjà là. L’arrivée du RN est un symptôme et un accélérateur d’un malaise profond du pays qu’il faut absolument traiter sur le fond.

« Résister » au RN et à ses outrances sera bien entendu nécessaire, mais ne sera pas suffisant. Il faut aussi proposer une solution de sortie, une lumière au bout du tunnel, qui ne soit pas juste un rafistolage, mais carrément un nouveau projet de société.

Cela demande un travail d’analyse de ce qui ne va pas en France, sans se poser, dans un premier temps, la question des solutions. Il faut d’abord comprendre ce qui ne va pas, se mettre d’accord collectivement sur ce vers quoi on peut aller, et après seulement, proposer les mesures concrètes et le chemin pour y arriver. La Macronie s’est plantée de ne pas avoir travaillé les deux premières étapes (surtout la deuxième), et de s’être concentrée uniquement sur la troisième. Le reste de l’offre politique ne vaut pas mieux sur ce plan, il suffit de lire les programmes, qui ne sont que des catalogues de mesures, plus ou moins irréalistes.

La sortie du tunnel passera par un renouvellement profond de l’offre politique. On peut espérer que le choc d’une victoire du RN permette une reconfiguration des oppositions, qui permette l’émergence d’une force « raisonnable » dont le but sera le bien du pays, et pas nécessairement la mise en oeuvre d’idéologies clivantes et de pratiques illibérales. Ce sera le premier pas, nécessaire, pour quitter le chemin mortifère sur lequel la France est lancé.

14 réponses sur « A l’entrée du tunnel »

Avons-nous des raisons d’espérer en regardant ce qui se passe chez nos voisins européens (Italie, Suède, …) ?

Deux questions à prendre au tout premier degré:
Vous les voyez où ces groupes, ces personnes qui vont reconstruire ?
Et en feriez-vous partie ?

En tant qu’immigré français dans un pays étranger, je vis un vrai deuil depuis le 9 juin. Un étrange sentiment de colère et de honte mêlées. Une colère autant tournée vers un gouvernement (enfin surtout un Président) entièrement responsable de l’accélération de cette poussée d’extrême-droite, que vers ces millions de Français qui se dirigent vers la pire solution à leurs peurs, désillusions et colères légitimes. Et la honte de voir le pays des Lumières sombrer de la sorte et être incapable de se souvenir de l’Histoire. Je dois dramatiser sans doute, mais quel symbole va-t-on envoyer au monde pour l’avenir de nos démocraties si même en France, cela arrive ?

Dans un an je suis éligible pour demander une naturalisation et devenir binational, mais je commence sérieusement à me demander si j’ai encore suffisamment foi dans la France pour continuer à en être un citoyen.

(Et du coup je ne pourrai jamais diriger de centrale nucléaire.)

Oui c’est triste de lire qu’un politicien a déclaré que cette prise de pouvoir (éventuelle) pourrait permettre de revenir à un glorieux passé. Quand on pense à Marie Slodowska, qui n’a jamais renoncé à sa première nationalité, est ce qu’un personnage pareil l’aurait interdite de participer à la science française ? Aurait-elle été trop douteuse pour lui ? Quel glorieux passé pour la France sans elle (et bien d’autres bien entendu qui sans égaler son génie ont tout du moins apporté leur talent) ? J’espère que vous pourrez apporter le vôtre à mon pays et qu’il aura un avenir avec vous plutôt qu’un passé avec des personnages pareils.

A mon avis, la situation n’est pas exactement la même.

En Italie et en Suède, il y a des gouvernements de coalition. Et il ne faut pas oublier que Fratelli d’Italia est la réincarnation d’un parti qui a gouverné à plusieurs reprises avec Berlusconi. Giorgia Meloni elle-même avait déjà été ministre, et même vice-présidente de la Chambre des députées (l’équivalent italien de l’Assemblée Nationale).

Par contre le RN n’a administré que des villes moyennes, et ne bénéficiera sans doute que d’un apport « homéopathique » de LR ciottistes.

Bref, la France ne va pas s’écouler, mais ce sera compliqué.

avec 37% des voix ils peuvent avoir une majorité absolue au soir du second tour, cela va dépendre du nombre de triangulaires et des reports de voix.

Bonjour. Dans ces 37% je me demande quelle est la part des adhésions aux idées RN et la part du du vote rejet/sanction ? Mais bon alea jacta et même si des petites surprises ne sont pas interdites au vu de la nature de ce suffrage à deux tours.
Par contre je m’interroge sur la posture des oppositions sur ces deux dernières années. Quand je lis un vieil article du JDD qui nous explique que LR pense avoir tout à gagner à une motion de censure face à un risque de dissolution faible et qui pourrait lui permettre de se montrer comme face à un rempart au RN. Ou sur la politique d’opposition « quoi qu’il en coute » des gauches menées par LFI sur ces deux dernières années, ce qui au final ne lui aura rien rapporté. Se trouver en première force d’opposition dans le cadre d’une future alternance ? je vois mal Macron dissoudre dans un an (si il reste en place) suite à une victoire à 37% du RN. En fait pendant 7 ans la gauche a crié « Macron démission », elle aurait du crier « Macron avec nous » 😉

Amen, l’alliance des LR au LREM aurait dû être un choix logique et évident en 2022. Leur esprit étroit et l’egotisme du président qui manifestement ne conçoit pas de ne pas être au centre du jeu a rendu cette alliance impossible.

Dans le dernier baromètre IPSOS publié jeudi si je ne me trompe pas, les électeurs sûrs d’aller voter RN indiquent que leur vote est motivé à 56% par les adhésions aux idées du RN. D’après Brice Teinturier on a dépassé la notion de vote sanction.

Est-ce étonnant quand on abreuve la population d’images d’émeutes et de violences en boucle sur les chaînes d’info? Quand un groupe de média donne la parole majoritairement à une certaine droite (très radicale)?
Il y a un très gros problème de laisser faire dans notre pays avec des fdo débordées, une justice a l’agonie, des prisons inadaptées et insuffisantes…. Mais au lieu de parler de ces sujets de fond pour établir une politique qui permette de chercher des solutions on stigmatise…
Je pense que le RN au pouvoir est inéluctable et j’espère salutaire pour afficher l’incompétence et l’incurie de ce partie qui n’existe que pour s’opposer et non gouverner. Espérons que les dégâts ne soient pas trop étendus le temps que le pays revienne à la raison…

« Un groupe de média donne la parole majoritairement à une certaine droite (très radicale) »…
Sans doute
Par contre, l’audiovisuel public roule à gauche, mais là, tout va bien…

Jamais de façon outrancièrement manipulatoire, précisez-bien s’il vous plaît.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *