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Le danger du vide politique pour la Macronie

Les médias se préoccupent beaucoup, en ce moment, de la « refondation » du parti présidentiel, qui s’appellerait désormais « Renaissance ». Il n’y est question que de mécano institutionnel, comme de savoir comment la machine va fonctionner, avec qui à sa tête, le tout discuté dans un bureau à l’Elysée, donc très loin du moindre militant.

Dans tout cela, à aucun moment, il n’est question d’idéologie, ni de positionnement « politique ». C’est même le vide sidéral sur ce sujet, et cela commence à devenir un problème majeur. En effet, Emmanuel Macron a réussi sa conquête du pouvoir en 2017, avec une vague teinture « centriste-humaniste », détaillée dans un livre gentillet écrit pour lui par deux communicants, et surtout, une posture de dégagisme. Ce qui a fait gagner Macron en 2017, c’est cette promesse (très vide de contenu) d’un « nouveau monde ».

Une telle opération, fondée sur le dégagisme, est beaucoup plus compliquée à mettre en œuvre, le coup suivant, quand on est le sortant. Et encore plus lorsque l’on a clairement échoué à tenir cette promesse de « révolution » et de renouveau. Tout au long de son premier mandat, Emmanuel Macron a géré la France (plutôt bien d’ailleurs), comme un technocrate pragmatique, mais il n’a esquissé aucune ligne politique, aucun projet de long terme, aucune projection sur ce que sera la France en 2030 ou 2050. Aucune vision de la France, tout court, diraient les méchantes langues.

Résultat des courses, il a été incapable de donner une impulsion politique à sa candidature pour un deuxième mandat. Les Français l’ont reconduit à la présidence, comme on prolonge le mandat d’un syndic qui a bien géré la copropriété, et parce que l’offre alternative n’était pas à la hauteur. Cette élection présidentielle est une victoire d’Emmanuel Macron sur sa seule personne, et absolument pas sur un projet politique, totalement inexistant.

Si on peut éventuellement passer l’obstacle à la présidentielle, c’est plus compliqué, à l’étape suivante des législatives, de demander aux Français de lui donner une majorité, sans leur dire pour faire quoi. Devant ce vide, Emmanuel Macron a tenté la « non-campagne », espérant refaire le coup de la présidentielle, espérant que, mécaniquement, les Français prennent les Législatives pour une formalité administrative. Malheureusement pour lui, la gauche a fait campagne et il s’est retrouvé avec une majorité relative à l’Assemblée nationale, qui lui complique la tâche.

A l’aube de la rentrée de septembre, on attend encore qu’Emmanuel Macron nous dise où il veut aller et nous emmener, et je pense que l’on attendra longtemps, car lui même ne le sait pas et n’a rien préparé. Car ce n’est pas un politique, et c’est là sa faille majeure.

Il a cru qu’il devenait possible de diriger le pays, sans avoir à être « politique », juste en étant bon gestionnaire. C’est mal connaitre le pays, et surtout, mal connaitre ce qu’est réellement l’exercice du pouvoir. Faire de la politique, c’est donner une vision de là où veut aller, du cadre intellectuel et de valeurs dans lequel on s’inscrit (avec une cohérence entre les deux). Sans cette vision et cet élan, on ne peut pas mobiliser. De Gaulle avait une vision de la France, qu’il avait largement exprimé dans des livres (par ailleurs bien écrits, et par lui). Il a été capable, après sa prise de pouvoir dans un contexte de crise, de construire un projet politique, avec un parti capable de mobiliser. On ne peut pas en dire autant du parti macroniste, qui est en état de mort cérébrale depuis sa création, et le restera sans doute au cours du deuxième mandat.

Si Emmanuel Macron n’arrive pas à faire de la politique, c’est à dire à donner un cap au pays, articulé autour d’un corpus idéologique identifié et cohérent, sa présidence ne sera qu’une parenthèse. Le problème pour lui, c’est qu’en général, les parenthèses, on cherche à les refermer au plus vite et à passer à la suite, une fois qu’on se rend compte qu’il n’y a rien à attendre, et qu’on perd son temps.

La Macronie n’est pas à un tournant, elle est au pied du mur. La France est un pays très politique, qui est en manque. Si le président actuel n’est pas en capacité de remplir ce manque de politique et d’idéologie, d’autres le feront à sa place (la gauche a commencé) et les Français se tourneront vers eux. Le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron sera politique, ou ne sera pas. Et malheureusement, c’est la deuxième option qui apparait la plus probable.

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Et si la gauche gagnait aux prochaines présidentielles ?

La fondation Jean-Jaurès vient de sortir une étude intéressante sur les convergences entre militants des différents partis composant la Nupes. Il en ressort que, globalement, ces militants sont assez en phase sur les grands sujets « de gauche » et que les différences portent plus sur des nuances (qui justifient le fait qu’il y ait plusieurs formations politiques) que des fractures béantes. En tout cas, rien qui de rédhibitoire pour un programme commun.

C’est un élément de plus dans une réflexion que j’ai, depuis cet été, sur le fait que la Nupes pourrait bien l’emporter aux prochaines élections présidentielles (qu’elles soient en 2027 ou avant).

Le fait d’avoir réussi cette union de la gauche en 2022 est en soi, un petit exploit, vu les haines et les fractures parfois très anciennes. Ce qui pouvait passer, au départ, pour un simple cartel électoral, destiné à sauver des postes de députés, s’est progressivement mué en embryon de véritable union politique, avec une base programmatique commune. Le deuxième petit exploit est que cette Nupes ait survécu à la période électorale, et que les trois gros partis (LFI, EELV et PS) jouent loyalement le jeu. Il n’y a pas d’entourloupe ou de faux-semblants chez les dirigeants. Les quelques socialistes hostiles à la Nupes sont sur le départ du PS, pour créer un groupuscule qui finira par sombrer ou rallier la macronie, faute d’espace politique et de masse critique.

On a donc une confédération politique assez solide et partie pour durer, avec une articulation au niveau parlementaire qui semble (à première vue) assez efficace. Il y aura sans doute des disputes et des coups d’éclats, mais la gauche est habituée à ces psychodrames idéologiques et sait les gérer (notamment à l’approche des élections). Pendant cinq ans, des gens qui jusque là, restaient soigneusement chez eux, vont apprendre à se connaitre (éventuellement à s’apprécier) et des équipes vont se créer. Il est à noter que des personnalités très intéressantes ont été élues députés à gauche. La plupart ont déjà une solide culture politique et militante, et ils vont, pendant cinq ans, apprendre le fonctionnement du Parlement, de l’Etat, et seront mûrs, en 2027, pour des fonctions plus importantes. Le « banc de touche » apparait plus profond que celui de la Macronie.

Finalement, la seule inconnue, et elle est de taille, c’est le nom du candidat de gauche à la présidentielle. Il est évident qu’il y aura candidature unique au premier tour, l’expérience de 2017 et 2022 ayant montré que la dispersion entraine l’élimination du second tour. Et c’est dans la logique de la Nupes. Ce candidat ne peut pas être Jean-Luc Mélenchon. Il est trop clivant et à 71 ans, il a atteint la limite d’âge, ne serait-ce que pour encaisser, physiquement, le marathon d’une présidentielle. Il semble en être conscient et a envoyé des signaux allant dans le sens d’un retrait progressif (même s’il ne quittera vraiment la vie politique qu’à sa mort). L’enjeu est de taille, car un mauvais casting peut faire perdre tout le bénéfice de l’union politique. Pour le moment, je ne vois aucune personnalité de gauche, qui s’imposerait naturellement.

La gauche pourra également bénéficier du soutien (bien involontaire) de la Macronie. La constitution interdit à Emmanuel Macron de se représenter et il est impensable que les oppositions lui offrent une réforme des institutions pour le lui permettre. Or, depuis 2017, tout repose sur la seule personne d’Emmanuel Macron, et dès qu’il faiblit un peu, c’est tout l’édifice qui se lézarde. Depuis 2017, c’est son entourage très proche qui est aux manettes, sans le moindre renouvellement. Des élus de 2017 qui ont appris et sont montés en puissance, sont soit retournés dans le privé, entrés au gouvernement ou aux postes supérieurs de l’Assemblée. Quand je regarde le groupe Renaissance de la XVIe législature, je cherche désespérément les poids lourds et le « sang neuf », et je ne trouve rien. Les quelques nouvelles têtes sont en fait des apparatchiks de la Macronie, qui sont sortis de la coulisse pour monter sur scène.

Au sein de cette Macronie élargie, seul Édouard Philippe a la carrure pour être un candidat crédible en 2027 et cherche à se donner les moyens. Malheureusement, Il ne pourra pas y arriver sans le soutien de l’ensemble de son camp. Vu le passif grandissant entre les deux individus, on peut craindre qu’Emmanuel Macron fasse tout pour l’empêcher d’y arriver et qu’au final, Édouard Philippe échoue, par manque de soutien de son propre camp, à la troisième place du premier tour de la présidentielle, derrière le candidat de la gauche et Marine Le Pen.

Si Marine Le Pen se retrouve au second tour, contre un candidat de gauche suffisamment « acceptable » pour les modérés de la Macronie, l’issue du scrutin ne fait aucun doute. Et derrière, les législatives suivront, car la gauche (contrairement à la Macronie) a du métier et, quoi qu’il arrive, fait campagne.

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Une XVIe législature qui démarre bien

On pouvait avoir des craintes sur l’ambiance à l’Assemblée nationale, et la capacité de la XVIe législature à être à la hauteur de la tâche. Le premier mois de travail lève les craintes. La cuvée est bonne, meilleure que la XVe, et jusqu’ici, aucun blocage n’a été observé. Je dirais même que l’Assemblée fonctionne bien et trouve plutôt rapidement son rythme, même si quelques réglages sont encore nécessaires.

L’équilibre politique de l’hémicycle est plus conforme à la situation dans le pays, avec un résultat de « proportionnelle » où les trois grands blocs politiques (Gauche, Macronie, RN) sont représentés à un niveau leur permettant d’avoir les moyens et le temps pour s’exprimer dans le cadre du travail parlementaire. C’est démocratiquement important que chaque force politique qui pèse réellement, se considère comme correctement représentée, et donc s’inscrive dans le cadre de la discussion parlementaire, plutôt qu’en dehors. Je sens, à travers la manière dont les députés communiquent (notamment sur Twitter) une acceptation très large et un investissement dans ce cadre parlementaire, y compris au RN. Malgré les dramas (déjà oubliés) de la semaine de mise en place des instances de l’Assemblée, l’institution fonctionne, et personne ne conteste la légitimité des vice-présidents RN ou LFI à présider les débats. Au passage, je trouve que globalement, les séances sont bien menées, ce qui contraste avec les débuts, plus chaotiques, de la XVe législature.

Le niveau et la représentativité « sociale » des nouveaux parlementaires me semble aussi meilleure. Le sévère écrémage vécu par la majorité présidentielle a connu son lot d’injustices, de battus méritants, mais a aussi permis de sortir un certain nombre de députés qui « n’ont pas fait leurs preuves » au cours des cinq dernières années, ou pire, qui ont montré leur incompétence. Il y a quelques défaites sur lesquelles je n’ai pas pleuré. Dans le lot des entrants, il y a quelques beaux profils, notamment chez LFI. Même si je suis en désaccord assez radical avec leurs postures et leurs positionnements politiques, je dois reconnaitre qu’un certain nombre d’entre eux « ont le niveau » pour faire de bons parlementaires. Je ne dirais pas autant du RN, où les profils aguerris sont moins nombreux, et où beaucoup partent d’assez loin sur le plan « parlementaire ». Mais la montée en compétence se fera, il faut juste leur laisser le temps et certains apportent une « diversité » sociale. Même si l’Assemblée reste largement dominée par les classes supérieures, diplomées, il y a davantage de « profils atypiques » dans cette assemblée. Espérons qu’ils arriveront à s’exprimer.

On recommence également à faire de la politique dans l’hémicycle. Même si devoir écouter les prêches militants où certains députés enchainent les poncifs et les clichés est parfois pesant, c’est une bonne chose qu’il y ait une expression de visions idéologiques à l’occasion de l’examen des premiers textes. Le travail parlementaire, ce n’est pas juste de la légistique, c’est aussi, et surtout, de fixer des caps politiques, d’expliciter des visions politiques qui donnent du sens aux textes législatifs examinés. La Nupes joue à fond cette carte, de la politisation et de la réidéologisation, qui va, je l’espère, obliger les autres camps à suivre, et à expliciter, eux aussi, leurs visions. Le discours technocrate de la majorité, aux débuts de la XVe législature, est bel et bien enterré, et c’est une bonne nouvelle pour la démocratie.

Cela se fait sans paralysie du travail législatif. Même s’ils font beaucoup de bruit dans l’hémicycle, les oppositions restent dans le cadre et les discussions avancent. L’hémicycle est un théâtre politique, le lieu où s’expriment, parfois de manière un peu excessive, les lignes et oppositions politiques. Jusqu’ici, la séance joue pleinement son rôle, y compris dans les « désordres » et les chahuts. Je n’ai pas vu de dépôt massif d’amendements hors sujet, comme les LFI le faisaient en 2017, ni de stratégie d’obstruction. Si les débats autour de certains textes, comme la loi de finances rectificative durent plus longtemps que prévu, c’est peut-être parce que le gouvernement n’a peut-être pas prévu assez de temps, et a imposé un calendrier irréaliste. Comment croire qu’en démarrant ce PLFR un vendredi après-midi, après avoir siégé toute la semaine sur une autre loi importante, tout aurait été bouclé dans la nuit de samedi à dimanche ? Les débats qui ont eu lieu à l’occasion de ces textes sur le pouvoir d’achat n’étaient pas « à coté de la plaque » et se sont révélés d’assez bonne tenue sur le plan technique et politique. Il y a globalement eu « débat », c’est-à-dire échanges d’arguments, et pas des tunnels de monologues entre groupes politiques ne s’écoutant pas.

L’absence de majorité absolue n’a pas été, jusqu’ici, un problème. Le gouvernement a été battu sur certains sujets, mais à chaque fois, ce n’était pas vraiment une surprise. Cela n’a pas empêché les textes d’être adoptés, et en nouant des compromis, à peu près comme le gouvernement le souhaitait. Certes, il y a eu des petits loupés, des manières de faire à perfectionner, mais l’adaptation a été rapide et tout le monde, y compris les oppositions, ont joué le jeu. L’Assemblée va vite trouver sa vitesse de croisière, sur les rythmes (le gouvernement vient de lâcher du lest en renonçant à la session extraordinaire de septembre) et sur l’organisation de la préparation, en amont, des textes législatifs. Le spectre de la dissolution s’éloigne sérieusement (sauf crise politique grave).

Finalement, cette XVIe législature s’annonce passionnante, et pourrait redonner un peu de baume au cœur à tout ceux qui aiment cette maison, et ont été meurtris de la voir tomber aussi bas entre 2017 et 2022.

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On ne devrait pas être nommé ministre après 70 ans

Caroline Cayeux, ancienne LR ralliée à la macronie, est aux prises avec une polémique sur ses propos tenus au moment de l’examen de la loi sur la mariage des personnes du même sexe.

Comme beaucoup dans la droite classique, elle partage sans doute cette réticence face à l’affirmation publique de l’identité homosexuelle, sans pour autant être homophobe. Comme beaucoup d’élus et de militants LR, elle s’est laissée emportée par l’ambiance de l’époque à tenir des propos excessifs et ineptes contre cette loi, et profondément blessants pour la communauté homosexuelle.

Que la polémique éclate au moment de sa nomination fait partie du jeu normal. L’opposition est là pour aller chercher les casseroles des membres de la majorité (et vice-versa) et cette polémique n’a rien de choquant. Caroline Cayeux aurait pu s’en sortir sans trop de dommages avec un mea culpa clair et immédiat, en affirmant que ses propos de l’époque ont été tenus dans un contexte particulier, qu’elle les regrettent profondément, et que sa position a évolué depuis sur le sujet. Dans un tel contexte, le choix des mots et des formules ne doit surtout pas être laissé au hasard.

Elle n’a visiblement pas su, ou pu, prendre conscience assez vite de la nécessité d’opérer ce virage avant que les choses ne se cristallisent contre elle. Elle s’est lancée dans une justification de sa position de l’époque, montrant qu’au fond, elle ne renie rien et qu’elle n’a pas changé. Elle n’a pas compris qu’à ce niveau d’exercice du pouvoir, il faut savoir se renier pour survivre. Une attitude qui est de plus en plus difficile à tenir, au fur et à mesure qu’on vieillit. Pour commencer à subir les effets de l’âge, je me rend compte qu’on a tendance, en vieillissant, à montrer moins appétence pour les postes et la carrière, et surtout, qu’on a plus de mal à évoluer radicalement sur des positions qu’on a depuis toujours. D’où cette tentation de se justifier, de préserver l’intégrité de ce que l’on est profondément, là où la nécessité politique imposerait une amputation immédiate, si on veut survivre.

Elle n’a sans doute pas été aidée par le fait que les réseaux et affinités que chacun a, sont ceux de sa génération. On vit toute sa vie avec les amis et relations qu’on s’est fait dans notre jeunesse, ou avec des personnes globalement du même âge (d’où la très grande solitude pour ceux qui atteignent un grand âge). On continue vivre avec l’état d’esprit de notre jeunesse, et on ne connait finalement pas grand chose à ce qu’apprécie la génération suivante, celle de nos enfants, voire petit-enfants. En politique, être ainsi coupé de la perception des attentes, des positions, des goûts des « jeunes générations » est un vrai problème. On peut y remédier, à condition de s’y prendre assez tôt. Devoir tout rattraper, après 70 ans, c’est un effort énorme, si ce n’est insurmontable.

Quand on est plus ou moins déconnecté des attentes d’une partie de la population, on ne « sent » plus instinctivement, ce qu’il faut dire ou pas. On se rend moins compte de ce qui, dans notre comportement et notre attitude, ne passe plus. Et là, c’est le drame…

Ces dernières années, on a eu quelques exemples de personnalités qui sont arrivées à des fonctions ministérielles pour la première fois, autour de 70 ans. On ne peut pas dire que Gérard Collomb ou Jacques Mézard, qui étaient pourtant des sénateurs aguerris, aient laissé de grands souvenirs dans les ministères où ils sont passés. Pareil pour Jean-Pierre Delevoye, revenu aux avants-postes à plus de 70 ans, après une coupure de 15 ans. Il ne s’est pas rendu compte que pendant son absence, les choses ont changé, et que le sujet des conflits d’intérêts est devenu important. Remplir par dessus la jambe, et au dernier moment, ses déclarations d’intérêts et de patrimoine, relève de la faute politique. Il ne l’a pas saisi, et l’a payé plein pot. Pareil pour Alain Griset, lui aussi devenu ministre sur le tard, tombé pour la même chose.

Être ministre est une tâche complexe, qui demande à la fois une souplesse et un flair que l’on perd progressivement en prenant de l’âge. Plus on entre tard dans ces fonctions, plus on s’expose à des difficultés, qui font qu’au final, les choses se terminent mal, ou mieux, de manière mitigée.

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Le tsunami qui vient

Notre monde a commencé à s’écrouler en 2020. Il était déjà fragile avant, mais on s’en rendait pas compte, car tant qu’un choc externe ne vient pas tout déstabiliser, on ne se projette pas, on n’évalue pas les risques. Même maintenant que la vague est visible au loin, on semble ne pas s’en préoccuper plus que ça. Et cela m’inquiète.

La France pourrait se retrouver, dans quelques semaines ou mois, dans une impasse énergétique. Les spécialistes commencent à pointer des signaux faibles, mais inquiétants, d’un degré de fragilité inédit de notre système énergétique.

La moitié du parc nucléaire est à l’arrêt, pour cause de corrosion de composants, mettant en jeu la sureté de l’exploitation. Autant dire que cela ne va pas se régler en quelques semaines, et qu’on pourrait même avoir encore quelques autres arrêts d’installations. L’objectif de 50% du nucléaire dans le mix énergétique est en train de se réaliser, malgré nous. Sauf que les alternatives ne sont pas là.

La France est toujours aussi en retard sur les énergies renouvelables, et l’attitude farouchement anti-éoliennes de la droite ne va rien arranger. Surtout depuis qu’ils sont devenus la force d’appoint indispensable pour un gouvernement minoritaire. La guerre en Ukraine a également fait descendre les approvisionnements en gaz, qui pourraient tomber encore plus bas, plus rapidement qu’on ne le pense, si Poutine décide de couper le robinet. Dans ce cas, c’est l’ensemble de l’Europe qui va se retrouver en très grande difficulté, l’Allemagne étant toujours aussi dépendante du gaz russe.

Il suffit donc que les menaces, celles existantes, et celles qui sont possibles, voire probables, se réalisent, pour que l’on vive un hiver de cauchemar. Le gouvernement commence, dans le projet de loi « pouvoir d’achat », à jeter les bases d’une législation de gestion de crise énergétique et les ministres suggèrent, en plein été (donc hors période de chauffage), de commencer à réduire la consommation pour ne pas tirer sur les réserves.

Les conséquences vont être lourdes. L’économie va souffrir, car quand on n’a plus assez d’énergie, la seule solution, c’est de rationner, voire de couper. Des usines et des productions vont se retrouver à l’arrêt, des lignes logistiques vont être encore un peu plus désorganisées. On risque d’avoir un peu plus que la moutarde et l’huile de tournesol à manquer dans les rayons des supermarchés.

Si jamais les coupures arrivent jusqu’aux particuliers, qui doivent réduire, voire couper le chauffage ou l’électricité à certains moments de la journée, cela va être symboliquement et donc socialement terrible. Ces pénuries d’énergie sont le lot commun de beaucoup de pays, mais sont totalement inconnus, et même inenvisageables en Europe occidentale.

Immédiatement, par réflexe pavlovien, les Français vont se tourner vers l’État et le gouvernement, le sommant de résoudre le problème.

Et là, c’est le drame…

Financièrement, l’État français est allé très loin, sans doute un peu trop loin, dans le « quoi qu’il en coute » au regard de sa solidité financière. Avec la remontée des taux d’intérêt qui est en cours, l’endettement ne sera pas une solution permettant d’aller bien loin. On l’a bien vu avec le soutien artificiel au prix des carburants, c’est très couteux, sans pour autant résoudre le problème. C’est encore moins efficace quand le problème pas juste le prix, mais aussi le niveau insuffisant de l’offre et que d’autres pays (au hasard l’Allemagne) ont les moyens de surenchérir sur nous. Il n’y en aura peut-être pas pour tout le monde, et nous pourrions ne pas être parmi les premiers servis. Cela va nous faire un choc.

Socialement, cela va être rude, car la société française, en plus d’être très fracturée, est profondément fatiguée par deux années de crise sanitaire. La perspective de replonger à nouveau, alors qu’on avait l’impression de sortir, enfin, la tête de l’eau, peut créer un choc psychologique dont les effets sont totalement imprévisibles.

Politiquement, ce n’est vraiment pas le moment d’avoir un choc externe. Avec sa majorité relative au Parlement, Emmanuel Macron ne pourra pas, comme pendant la crise sanitaire, tout décider seul, en conseil de défense. Il va lui falloir revoir de fond en comble sa manière de gouverner, et construire une confiance avec une opposition, très remontée contre sa personne. En sera-t-il capable ? L’opposition jouera-t-elle le jeu ? La tentation chez certains sera de profiter de la crise énergétique et sociale, pour le chasser du pouvoir, ajoutant une crise politique au reste des problèmes.

Je suis inquiet pour les mois qui viennent. Le pire peut ne pas se produire, mais nous n’avons jamais eu autant de facteurs de risques, et de trous dans le filet de sécurité, réunis en même temps.

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Un leak ne fait pas toujours un scoop

Le journal Le Monde vient de publier, avec force promotion sur les réseaux sociaux, plusieurs articles, à partir d’une fuite de données, récupérée par le quotidien britannique Le Guardian. Ils concernent l’activité de l’entreprise Uber de 2013 à 2017, notamment son activité de lobbying.

Ces « scoops » sont clairement survendus. Il n’y a pas grand chose de nouveau, si ce n’est des précisions et des preuves sur ce que l’on savait déjà. Uber est une entreprise qui a fait le choix du passage en force, se comportant en « cow-boy » vis-à-vis des législations existantes et exploitant leurs failles. C’est un choix qui a pu payer, mais qui n’est pas sans risques, car au final, ils sont rattrapés sur des points essentiels de leur modèle, comme le droit social.

Je n’ai pas relevé, dans les articles que j’ai lu, de mention de fautes pénales de la part d’Uber ou de leurs lobbyistes et « fournisseurs ». L’entreprise a fait le choix stratégique de miser sur Emmanuel Macron, qu’ils estimaient être le maillon « libéral » du gouvernement, donc le plus susceptibles de leur être favorable. De ce coté là, les choses ont très bien marché, Emmanuel Macron, comme beaucoup de libéraux (et de parisiens) ont été très contents de voir bousculée la rente des taxis, qui ont organisé une pénurie structurelle de l’offre à leur profit.

Les pratiques mises en œuvre par Uber relèvent du lobbying le plus classique. Rédiger des amendements, et les envoyer aux ministres et parlementaires, faire réaliser des études et les diffuser dans les médias pour qu’elles infusent dans le débat public (via des intervenants réguliers des plateaux TV), c’est le quotidien des lobbyistes, qu’ils soient auprès d’entreprises ou d’ONG. L’essentiel est que les règles déontologiques aient été respectées, comme par exemple la transparence sur les commanditaires des études, et l’absence de pratiques de corruption pour approcher les décideurs et faire adopter leurs propositions. Uber aurait proféré des menaces contre les parlementaires (comme le pratiquent certains acteurs du secteur culturel) ou soudoyé des assistants parlementaires pour faire déposer des amendements, il y aurait effectivement eu matière à indignation.

Cette série de papiers illustre surtout la méconnaissance de la réalité du lobbying par les journalistes, qui en grande partie, vivent sur des clichés, qui sont aussi ceux du grand public. Cela donne des écarts énormes entre ce qui est raconté, conforme à ce que le grand public attend (car confortant les opinions préétablies) et ce que vivent au quotidien les acteurs du débat public, qu’ils soient lobbyistes, communicants ou « personnel politique » au sens large. Pour qui connait un peu comment les choses se passent réellement, le dossier Uber n’a rien de choquant, pas plus que d’autres pratiques venant d’autres secteurs ou entreprises.

Cela illustre un drame du journalisme, celui du manque de moyens, qui amène à se faire instrumentaliser. Si Le Monde sort cette série de papiers, ce n’est pas parce qu’ils ont décidé d’enquêter, après avoir estimé qu’il y avait matière à creuser sur les pratiques de lobbying d’Uber. C’est tout simplement parce qu’un énorme paquet de données a été livré clé en mains par une fuite. On est dans le mouvement inverse de ce qui devrait être, où on part des données qu’on a, et qu’on cherche ce qu’on pourrait bien en faire de « spectaculaire » pour susciter le buzz. Parfois, la réponse la plus évidente serait : rien ! On l’avait déjà vu avec les Macron Leaks, où finalement, il n’y avait rien d’autres que la description du fonctionnement interne d’une campagne présidentielle, plutôt clean d’ailleurs, puisqu’aucune poursuite judiciaire n’a été lancée sur la base de ces éléments.

Ces « Uber Leaks » sont certainement très intéressants pour mener une étude sur le fonctionnement de cette entreprise, l’état d’esprit de ses dirigeants, la manière dont ils ont bâti leur stratégie. Mais en revanche, il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent pour critiquer Emmanuel Macron, ou dénoncer un « scandale du lobbying ». Le Monde aurait gagné à ne pas tomber dans la gonflette, car au final, au delà du buzz dans le grand public (qui ne génèrera pas plus d’abonnements), ils ont dégradé leur image de marque auprès du secteur concerné, qui n’a rien appris, et s’est retrouvé cloué au pilori par un traitement sensationnaliste de pratiques courantes et ordinaires.

La conclusion risque d’être, malheureusement, pour beaucoup de lobbyistes, que « Le Monde, ce n’est plus ce que c’était »…

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L’opposition se perd dans les polémiques à 2 balles

En ce début de législature, je me suis abonné à une liste twitter (oui, j’y jette encore un oeil) regroupant tous les députés de la nouvelle législature. C’est à la fois instructif et affligeant. On y voit comment chaque groupe se positionne, les sujets sur lesquels ils interviennent, ceux qu’ils évitent, le ton qu’ils prennent. On y voit aussi un goût prononcé pour les polémiques de bas étage, et la mauvaise foi, à un niveau, chez les « Nupes » qui m’atterre.

Un exemple, de ce jour, de polémique stérile et de mauvaise foi, qui radicalise la base militante à partir d’informations tronquées et d’analyses partisanes. Deux secrétaires d’État nouvellement nommées sont en co-tutelle entre deux ministres. Sarah El Hairy, chargée de la Jeunesse et du service national universel (cotutelle Éducation nationale et Armées), et Carole Grandjean, à l’enseignement et à la formation professionnelle (cotutelle Éducation nationale et Travail).

Ces cotutelles sont parfaitement en cohérence avec les périmètres ministériels. En effet, le service national relève des Armées, et la formation professionnelle du ministère du Travail. Cela va permettre à ces deux secrétaires d’État d’exercer la plénitude de leurs attributions, en ayant une légitimité à accéder aux administrations gérant les secteurs qu’elles couvrent, et qu’elles n’auraient pas sans ce rattachement aux deux ministères.

Et voilà que sur Twitter, on voit des parlementaires de gauche, hurler que le secrétariat d’État à la Jeunesse se retrouve dépendant du ministère des Armées, et que l’enseignement professionnel tombe dans le giron du ministère du Travail. Avec, bien entendu derrière, le chœur des indignations, qui prend pour argent comptant des affirmations de personnalités considérées comme « fiables » car élus de la Nation.

Les députés d’opposition (de gauche sur ce coup, mais je ne suis pas sur que ça soit mieux de l’autre bord) jouent avec le feu. En se positionnant ainsi aux frontières de la fake news (car certains savent très bien qu’ils lancent une polémique sur la base d’une présentation tronquée), ils contribuent à radicaliser le débat politique. Ils contribuent aussi à affaiblir la confiance que les citoyens peuvent placer en eux. Et donc, ils affaiblissent la démocratie représentative.

Au delà, cela pose aussi problème, sur le niveau auquel ces élus d’opposition placent le débat politique. Que l’opposition critique le gouvernement, c’est normal et sain, c’est son rôle. Mais à condition de le faire aussi sur le fond, sur les politiques publiques menées, sur le bilan de l’action du gouvernement. Malheureusement, c’est bien rarement le cas, et pourtant, il y aurait des choses à faire, à condition de bosser un peu (et c’est là que le bât blesse et que le tri se fait).

Le gouvernement vient de déposer sur le bureau de l’Assemblée le projet dit de règlement des comptes. Il s’agit de la présentation de l’exécution du budget de 2021. Il y a tous les chiffres sur la manière dont l’argent public a été effectivement dépensé en 2021. Autant vous dire que ces documents sont une mine d’or pour l’opposition, qui ne manquera pas d’y trouver bien des questions embarrassantes à poser au gouvernement.

On prend les paris qu’il y aura moins de tweets des députés d’opposition sur cette loi et son contenu, qu’il n’y en a eu pour critiquer les nominations de ministres ?

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Le message des jeunes générations

Les étudiants de l’école Polytechnique viennent d’envoyer un message qui mérite vraiment d’être entendu, voire même d’être écouté. Lors de la remise des diplômes, ils ont appelé à un changement de cap sociétal face au dérèglement climatique, prônant la sobriété, c’est-à-dire une forme de décroissance. Ils ajoutent que la technologie, la science et les « petits gestes qui sauvent la planète » ne suffiront pas.

Il vient du cœur de ce qui sera l’élite politico-administrative de demain. N’entre pas à Polytechnique qui veut, c’est ultra sélectif, et surtout, quand on en sort, ce n’est pas pour n’importe où, mais pour les lieux de décision. Polytechnique, c’est normal un « temple » du rationalisme, de la science et de la technique. Les polytechniciens, ce sont des jeunes sous statut militaire, qui sortent d’un tunnel de deux (voire plus) années de prépa, qui passent leur temps à faire du sport et des maths. La philo et les sciences politiques ne sont pas au cœur du programme de Polytechnique. Pour qu’un tel message sorte de Polytechnique, ça veut dire qu’il se passe réellement quelque chose dans cette génération.

Dernier point, qui valorise encore plus le message, ces polytechniciens n’entendent pas (à l’inverse de leurs petits camarades d’AgroParisTech) démissionner et partir élever des chèvres dans le Larzac. Ils vont faire la carrière qu’on attend d’eux, sont conscients de la responsabilité qu’ils ont vis-à-vis de société et entendent l’assumer.

Ce message, c’est celui de leur génération, celle qui va prendre les manettes dans quelques années, et qui appliquera des lignes politiques qui sont en train de se forger. Si on veut savoir ce que sera la France de 2035, il faut les écouter, suivre leurs débats, leurs choix et leurs refus.

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Le renouveau démocratique ?

Les résultats des élections législatives sont tombés, et comme cela était prévisible, le chef de l’Etat n’y dispose que d’une majorité relative. Il lui manque une quarantaine de sièges pour arriver à la majorité absolue. Cela veut dire qu’il ne suffira pas de quelques débauchages individuels, il va falloir négocier avec un partenaire.

Tout indique que l’essentiel des discussions se feront entre la majorité (relative) présidentielle, et le groupe LR. Des discussions avec le RN sont absolument exclues. La gauche étant dominée par le groupe LFI, avec groupe EELV assez « radical », les socialistes, qui sont les plus susceptibles d’être réceptifs à certaines propositions, sont un peu coincés. Ils savent que s’ils vont trop loin, et rompent la solidarité politique sur laquelle ils ont été élus (l’ombre de la NUPES planera longtemps), ils le paieront très cher aux prochaines élections.

Le gouvernement va donc devoir trouver un accord avec la droite modérée, qui tient la clé de la sécurisation des votes à l’Assemblée, et surtout, tient aussi le Sénat. Autant dire que si LR se braque, et se range dans l’opposition ouverte, le gouvernement sera très embarrassé et devra assez vite dissoudre l’Assemblée. Non seulement ses textes seront rejetés, mais les quelques uns qui seront votés, ne seront pas nécessairement rédigés comme le gouvernement le souhaiterait. Le parlementarisme rationalisé, façon 1958, ça sert à domestiquer une majorité un peu rebelle, pas à faire adopter des textes contre la volonté d’une majorité.

Pour l’instant, nous sommes au début de la négociation, et les choses ne vont pas se débloquer d’un claquement de doigts. Les signaux envoyés sont, pour l’instant, globalement positifs, certains ténors de la majorité lançant des appels à la discussion et à l’échange avec les « élus soucieux du bien commun ». Du coté LR, c’est plus tendu, mais une majorité se retrouve sur une ligne « Aucun accord formel, mais aucun refus de principe non plus, il faut voir au cas par cas ». A ce stade, il est difficile d’en demander plus que l’expression d’une bonne volonté prudente.

Il va falloir un peu de temps pour que les LR, qui n’avaient pas vraiment anticipé cette situation, établissent leur « liste de courses » et arrêtent les positions qu’ils acceptent, et leurs lignes rouges. Cela va être un exercice salutaire pour LR, mais aussi pour LREM, qui n’avait jamais vraiment fait ce travail, et qui doit maintenant se doter d’une grille d’analyse. On en restera à des accords ponctuels, et le Graal de l’accord de coalition, ça sera pour plus tard, peut-être. Dans un système de scrutin majoritaire, on passe les accords avant, pas après le scrutin (comme c’est le cas dans les pays votant à la proportionnelle).

Je ne doute pas que ces deux structures, composées de gens raisonnables et responsables, arriveront à faire (tant bien que mal) le travail de clarification doctrinale et programmatique, et à trouver un terrain d’entente, même si cela n’ira pas sans psychodrames. Ils seront aidés, en cela, par la pression provoquée par les partis populistes, qui risquent fort de mettre de « l’ambiance » dans l’hémicycle, par une attitude militante bornée et agressive. Je crains que dans un premier temps, LFI et RN ne se lancent dans la confrontation et la surenchère démagogique, poussant encore plus LREM et LR dans les bras l’un de l’autre, l’électorat de ces deux partis (surtout LR d’ailleurs), craignant plus que tout le désordre.

Il serait imprudent, à ce stade, d’extrapoler sur un temps plus long, mais on peut penser que si les accords fonctionnent plutôt bien, une alliance de long terme peut se nouer. On reviendrait alors à un schéma connu, d’un parti dominant à droite, doté d’une vague aile gauche, et d’un autre parti, regroupant une droite plus hétéroclite, dont le ciment est de ne pas être dans le parti de droite dominant, tout en refusant de basculer à l’extrême-droite. On appellerait ça le RPR et l’UDF, et la boucle serait bouclée !

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Une majorité relative serait-elle une bonne chose ?

Le résultat des élections législatives s’annonce incertain. S’il est évident que le camp du président sera en tête, sa majorité sera étriquée. On sera très loin de la majorité confortable obtenue en 2017 par Emmanuel Macron, avec des novices en nombre suffisant pour lui permettre de faire ce qu’il veut, sans dépendre de personne.

Ce qui est clair, c’est qu’à partir de fin juin 2022, Emmanuel Macron aura besoin, a minima, de François Bayrou et d’Edouard Philippe, et au pire, du soutien de LR, voire du PS, selon les textes et les moments. C’est là que l’on va constater que changer la constitution n’est pas nécessaire, et que ce qui compte, ce n’est pas le texte mais la pratique. En effet, Emmanuel Macron va devoir réellement consulter, c’est à dire écouter et tenir compte des autres, en passant des compromis, sous peine de ne pas pouvoir faire passer ses réformes.

Cela risque d’avoir des effets inattendus, bénéfiques pour certains, catastrophiques pour d’autres, selon le degré de responsabilité et de maturité démocratique des élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition.

Cela risque de bousculer la culture politique française, beaucoup trop marquée par les postures de radicalité, au détriment des compromis et du pragmatisme. C’est très confortable pour tous. Pour l’opposition, cela permet de se faire mousser sur la pureté idéologique, sans avoir à travailler le fond. Pour la majorité, cela permet de décider seule sur les sujets techniques, sans avoir de réel contre-pouvoir. L’opposition ne faisant que « de la politique », les médias se contentent de ce spectacle (et en rajoutent) et personne n’explicite les tenants et aboutissants des décisions, et encore moins les enjeux à long terme.

Si le gouvernement veut embarquer avec lui des opposants sur des textes, il va devoir argumenter et convaincre, car un vote positif ou une abstention décisive, c’est un partage de responsabilité politique. Faire de la politique à l’Assemblée, deviendra peut-être un peu plus étudier le contenu réel des textes de loi, voire l’étude d’impact, et pas seulement l’exposé des motifs.

Soyons lucides, cela n’arrivera pas tout de suite. On aura d’abord des jeux de dupes, des « abstentions constructives » et des trocs « pétrole contre nourriture ». Les groupes permettant de faire l’appoint auront une « liste de course » qui se transformera, en fin de législature, en liste de trophées justifiant auprès de leur électorat, la justesse de leur choix de collaborer au cas par cas. En tout cas, c’est comme cela qu’ils vont l’envisager, et puis arriveront des textes où personne n’aura envie de porter la responsabilité d’un rejet, et où il faudra se mettre d’accord. Arriveront aussi des textes que le gouvernement veut absolument voir passer, et où il sera prêt à des concessions ou des contreparties. C’est par ces interstices que, peut-être, une culture de la délibération et du compromis « assumé » peut arriver à se glisser.

Une conséquence possible est la paralysie plus ou moins forte de la machine à légiférer, car si le Sénat entre dans la danse, et joue sa propre partition, cela pourrait vite devenir un vrai bazar. Si personne ne veut jouer le jeu des compromis, les lois ne passeront pas. Cela va obliger le gouvernement à faire des choix, à sécuriser en amont, ce qui prend du temps, et possiblement, de devoir déposer moins de projets de lois, et de ne plus pouvoir déposer à la volée, en séance, des amendements de trois pages. On pourra peut-être s’apercevoir que beaucoup de lois ne sont finalement pas si utiles, et que pour bien des dispositions, le gouvernement va redécouvrir qu’il peut passer par des décrets ou des ordonnances. Dans les deux cas, la qualité du droit n’en sera que meilleure (même si la démocratie n’y trouve pas son compte).

A l’inverse, cela peut aussi amener des textes législatifs complètement bâtards, avec des compromis politiques juridiquement baroques. L’expérience montre que dans ce domaine, la créativité des parlementaires est très grande. Là encore, tout va dépendre du sens de la responsabilité des parlementaires, et de leur culture du travail législatif.

Cette XVIe législature pourrait finalement se révéler beaucoup plus amusante et intéressante que la très insipide XVe législature, où l’Assemblée nationale a touché le fond.