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Le piège du « quoi qu’il en coûte » se referme

La réforme des retraites, qui est lancée par le gouvernement, pourrait se révéler une bérézina politique historique. Sur un sujet historiquement casse-gueule, le gouvernement n’a politiquement rien préparé. Surtout, il n’a pas compris que le « quoi-qu’il-en-coûte » a été un changement de paradigme dans la perception des réformes par les français. On a bien sauvé l’économie à coup de centaines de milliards en 2020, on peut bien faire la même chose pour les retraites !

Le premier étage de la fusée est l’absence totale de « vision politique » sur cette réforme. Il n’y a aucun récit, aucune projection sur le futur expliquant pourquoi c’est essentiel de la faire. Croire qu’on peut faire passer une réforme qui touche à un totem, l’âge du départ à la retraite, sur des bases uniquement comptables, c’est prendre un gros risque. Sauver l’équilibre du système des retraites, ça préoccupe surtout les retraités, qui voient avec inquiétude la perspective d’un manque de financement qui entrainerait une baisse de leurs pensions. Mais ça ne fait pas rêver les actifs, et certainement pas les jeunes en début de carrière. S’il n’y a pas de lien avec un projet de société, ça ne peut pas aller loin.

Le deuxième point de friction est l’absence de « pédagogie ». Aucun travail de conviction n’a été fait, le sujet arrive maintenant sans préparation médiatique et politique. Bayrou, qui est un politique expérimenté, s’en est ému avant les fêtes. C’est vrai que c’est difficile de faire de la pédagogie, quand la veille des annonces, certains points ne sont pas encore arbitrés. Compliqué, pour ceux qui n’ont pas trop suivi les débats, de « s’approprier » cette réforme, en examinant si ce qui a été finalement arrêté leur convient. Le texte va passer comme un TGV, avec des annonces politiques le 10 janvier, un passage en conseil des ministres le 23 et un examen en commission à l’Assemblée le 30 janvier. La méthode retenue est très clairement le passage en force, et mentionner des « concertations » relève de la vaste blague.

Le troisième point est l’isolement politique du gouvernement. La gauche est vent debout et unie contre la réforme avec des messages très politiques. Le RN est dans les mêmes dispositions et Macron n’a rien à en attendre. Le seul allié de la majorité, c’est LR, et ça reste bien fragile. Numériquement, cet appoint suffit à peine, et la désunion au sein du parti ne garantit pas que toutes les voix seront au rendez-vous. Et surtout, la manière dont ce ralliement est présenté donne vraiment l’impression d’un achat de vote, d’un ralliement non pas par conviction, mais contre des concessions. Si la vague monte contre la réforme, et que les LR sentent qu’ils peuvent être entrainés dans le naufrage, ils risquent de quitter bien vite le navire.

Le piège est donc largement ouvert, pour que le gouvernement se heurte à un rejet massif de cette réforme, qu’il devra à sa propre incohérence. Si le gouvernement a mis en place le « quoi qu’il en coûte » face à la crise du Covid, vient de cramer plusieurs dizaines de milliards d’euros dans des boucliers tarifaires sur l’énergie, pourquoi n’est-il pas capable de le faire aussi pour sauver le système de retraite ?

Le « quoi qu’il en coûte » est un piège, car c’est un aller-simple. Toute tentative de retour en arrière est à très haut risque politique, car une fois qu’on a branché une perfusion d’argent public, le pays y prend goût et ne comprendrait pas pourquoi cela s’arrêterait, alors que ça fonctionne si bien…

12 réponses sur « Le piège du « quoi qu’il en coûte » se referme »

« Pédagogie »? Vous êtes sur que ce mot est présent dans le dictionnaire de ne serait-ce qu’un.e seul.e. député.e LREM/Renaissance? Maintenant, il est vrai aussi que ce mot est compliqué à appliquer sur la question des retraites.

Ainsi, qu’elle argument employer pour justifier que la retraite des riches (j’en fais partie) soit financer par le décès avant l’âge légal de 30% des pauvres? Et les mesurettes sur la pénibilité ne changeront pas fondamentalement ce pourcentage.

Quel argument avancer pour justifier qu’au dessus du plafond de la sécurité sociale les salaires ne sont plus grevés de prélèvements retraite, privant ainsi le système de 3 milliards d’euros par an. Sachant en plus que le plafond en question est placé pile-poil au point d’inflexion de la courbe salariale. C’est à dire au point où la croissance des salaires par déciles, passe de lente à ultra-rapide.

Quel argument avancer pour justifier que seuls les salaires, ou à peu près, donnent lieu à cotisation? Et ce alors qu’aucun article constitutionnel ou de traité international ne l’impose.

Etc.

Merci d’avoir relevé la notion de pédagogie… dès que je l’entends de la part d’un politicien ou d’un commentateur politique, elle me fait bondir…

La pédagogie est bien dans le lexique de la macronie comme de toutes les élites occidentales depuis 30 ans. C’est parce que nous sommes idiots qu’il a fallu nous expliquer les avantages de la mondialisation heureuse et de la mise en concurrence de tout. Maintenant que les dégâts sont là, la mise à nu des doubles discours ne passe plus

Soit nous sommes des enfants et alors il faut de la pédagogie . Soit nous sommes des citoyens (c’est à dire le Souverain) et alors il faut essayer de nous convaincre de la justesse des mesures (H. Arendt).
De cette justesse, je ne le suis pas encore.

J’y vois surtout le moyen de rassurer la majorité des votants, c’est à dire les personnes déjà à la retraite (qui ne seront pas touchées par le nouveau seuil), en plus de nos prêteurs et de ceux que cela inquiète à la Commission et à la BCE. Et cela permet de faire peser le système sur les seuls cotisants (au nombre en constante régression par rapport aux retraités) alors que rien n’empêche d’élargir l’assiette à d’autres types de revenus.

Vous surestimez, peut-être, la confusion entre les colossales dépenses liées à la crise sanitaire qui sont temporaires et celles liées au financement des retraites dont les ressources doivent être durables et à la hauteur des dépenses.
Cela chacun peut le comprendre me semble t-il. Enfin je l’espère.
Sur les motivations de la réforme le président a lui-même introduit de la confusion quand il a annoncé qu’elle pour but de trouver des ressources nouvelles pour tout un tas d’objectifs sans rapport avec la retraite (financement de notre modèle social dont la dépendance, de la transition écologique).
Puis devant l’incompréhension suscitée par cette annonce il est revenu aux fondamentaux de base : assurer un financement pérenne du régime des retraites avec une réforme paramétrique plutôt brutale qui est présentée comme urgentissime et vitale alors que rien et même pas les rapports du COR n’indiquent qu’une telle urgence est justifiée.
Sur le choix de la méthode concertation au lieu de négociation, et du timing c’est calamiteux.
Sur la cuisine parlementaire… quel bordel.

Les français sont très basiques : « l’argent magique existe, on sait trouver des milliards quand on le veut vraiment ». C’est le mur contre lequel va se heurter Macron, car les réponses techniques sont politiquement inaudibles.

Et en même temps, la réalité leur montre…. Quand il s’agit d’aller financer des programmes d’armements, quand il s’agit d’aller filer du blé au JO… donc ce n’est pas qu’ils sont « basiques »… C’est que le deux poids deux mesures commence à se voir….

« les français sont basiques » dites-vous. Rassurez-moi, c’est ironique au moins ?
Oui les électeurs ne peuvent avoir toute la technicité nécessaire à faire des choix éclairés sur tous les sujets, c’est pourquoi ils s’informent. Plus ou moins bien, comme ils le peuvent compte tenu des capacités totalement irréelles des politiques à brouiller le message.
Par exemple j’avais trouvé les travaux de la convention citoyenne sur le climat plutôt intéressants. Les citoyens avaient alors démontré leur capacité à se saisir d’un sujet difficile et technique et en tirer des conclusions dont certaines étaient pertinentes. On sait ce qu’il en advint : des confettis dans une poubelle.
Il faut savoir ce que l’on veut des citoyens adultes et responsables ou des électeurs tenus en piètre estime par des politiques qui une fois élus servent des intérêts particuliers.

Il faut partir de ce qui existe, à savoir des citoyens qui ont un niveau d’information et connaissance technique faible (pour ne pas dire plus) sur les finances publiques. Et pour une part non négligeable, une bonne dose de rejet primaire de l’actuel président, qui leur fera adopter tous les bobards qui conforteront leurs opinions initiales.
Si le gouvernement espère jouer sur l’intelligence et la bonne foi des citoyens pour gagner la bataille de la communication, ils vont avoir de gros désagréments. Je ne porte aucun jugement, je regarde juste les choses telles qu’elles sont.

Les français refusent de raisonner en « bons pères de famille prudents ». Avant l’euro il y avait les attaques sur le franc qui servaient de contrainte extérieure visible par les concitoyens: irresponsabilité fiscale implique dévaluation. Les règles de Maastricht ont servi de contrainte extérieure en déplaçant la dénonciation des marchés vers la dénonciation de Bruxelles. Le quoi qu’il en coûte a suspendu Maastricht mais ça reviendra, et les français ne veulent pas le voir. La question c’est: faudra-t-il passer par un mandat MLP ou JLM pour vacciner les français contre l’aventurisme économique et budgétaire, avec des conséquences politiques et économiques dramatiques?

On peut se demander pourquoi les français sont plus irresponsables que leurs voisins, c’est probablement en grande partie dû au système politique présidentiel qui encourage les promesses populistes comme en Amérique du Sud. Les régimes parlementaires sont en général plus doués pour mettre les équilibres budgétaires au coeur du débat.

Je ne pense pas que le problème soit le régime parlementaire ou présidentiel…
Je pense que le régime présidentiel est plus adapté à ce que nous sommes vraiment, et que le problème est ailleurs : les français reconnaissent aux gouvernants (président ou parlement sont dans le même sac) la légitimité de décider sans concertation sur les sujets techniques, mais pas sur les sujets les touchant tous.
Il est parfaitement possible qu’ils ne reconnaissent pas de légitimité suffisante pour des sujets aussi généraux que le système des retraites aux gouvernants pour décider seuls, en plus des protestations sur l’atteinte aux intérèts particuliers qui pour moi sont la partie émergée de l’iceberg.

Il me semble en effet trop simpliste d’expliquer 30 ans de protestations aussi importantes à chaque réforme par une simple allergie viscérale des français à toute réforme (ou réformette : si une réforme valable était faite, il n’y aurait pas besoin de revenir sur le sujet tous les 10 ans !!!!)
Et si c’est le cas, je rejoins le diagnostic : la méthodologie est catastrophique !
Ce qu’il faudrait, ce serait une espèce de « référendum à choix multiple » : pas du oui ou merde, mais les grandes orientations possibles, à valider par un débat au parlement permettant à tous les points de vue de s’exprimer, référendum tranchant entre ces orientations (ce qui priverait les opposants au projet de la légitimité politique de le contester) puis projet de loi appliquant techniquement l’orientation décidée.

Oui, je rêve, mais en pratique, moyennant éventuellement une réforme constitutionnelle pour adapter le mécanisme du référendum histoire que ce ne soit plus « ou ou non » mais choix « A ou B ou C… etc » ça a de très bonnes chances de marcher…

Ce qui me frappe dans cette réforme c’est la triple faute, morale, économique et politique que constitue le fait de la faire supporter par les seuls actifs.
Je passe sur le fait qu’on épargne ainsi la génération du baby-boom (1945-1960) qui a bénéficié plein pot du système en cotisant très peu, vit mieux que les actifs et laisse le pays dans un état désastreux. Faute morale.
En outre, l’écrasement des actifs est patent à travers le découragement des salariés devant les salaires faibles (moins bien indexés que les retraites!): pénurie de soignants, de chauffeurs, de profs, etc… Et on dégrade encore leur sort, ce qui n’a aucun sens. Faute économique.
Enfin, LREM et LR assument pleinement cracher à la figure des actifs en s’appuyant sur les boomers. Le seul moyen de faire passer la réforme et, pour LR, d’essayer de survivre en donnant des gages à son électorat de retraités.
Mais qui va se présenter devant les bureaux de vote en 2027 ? Des Français de 18 à 66 ans qui auront subi les conséquences négatives de cette réforme, face à des boomers désormais âgés de 67 à 82 ans… pour ceux qui seront encore vivants. Même si les vieux votent beaucoup, le retournement démographique et électoral est inéluctable, et les électeurs se souviendront d’un quinquennat marqué au fer au rouge dès son début par cette réforme qui les a humiliés.

Allez un peu de politique (pas du tout) « fiction ». Le projet de loi est déposé au Parlement. Dans la foulée le 49.3 est activé pour qu’il aille de suite devant le Sénat. En seconde lecture, le 49.3 est à nouveau activé immédiatement avec intégration des amendements du Sénat (LR).

Pourquoi ces prédictions? Parce que le gouvernement vient de réaliser que déclencher une grève dure, dans les transports, l’énergie, et les raffineries en plein hiver, alors qu’il y a zéro marge de production, c’est une.. euh… il n’y a même pas de mot pour cela… D’autant que si en prime la météo se met de la partie avec une belle vague de froid, l’explosion sociale sera en mode « atomique ».

Donc il ne leur reste que deux options:
1- une procédure à vitesse ultra-accélérée dans l’espoir que le second 49.3 tue le mouvement social,
2- le retrait pur et simple du texte.

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